Dans cet article je vais développer un concept que j’ai un peu inventé au fur et à mesure de mes missions et que je nomme “ingérence silencieuse”. Nous verrons ses fondements, ses inconvénients, et surtout ses bénéfices. Je dis que je l’ai inventé car je n’en ai trouvé de trace nulle part, naturellement, si quelqu’un en trouve une trace quelque part contactez-moi je me rapprocherai de l’inventeur légitime avec joie !
Mon concept “d‘ingérence silencieuse” prend sa source en 1924, à l’époque de Mary Parker Follet, conseillère en management et pionnière de la théorie des organisations du point de vue des ressources humaines et en 1939 où Georges Elton Mayo, psychologue sociologue australien, lança le mouvement des relations humaines en management, et qui est considéré comme l’un des pères fondateurs de la sociologie du travail.
Le cœur du concept “d’ingérence silencieuse” réside dans leurs travaux respectifs de sociologie et de relations humaines. Je vous invite aussi à vous intéresser aux travaux de Abraham Maslow et à Robin Ian MacDonald Dunbar et sa théorie de limite cognitive pour l’être humain.
La sociologie est l’étude des êtres humains dans leur milieu social. Elle est la science de l’observation de la société et des phénomènes sociaux. Un des phénomènes que j’ai beaucoup observé et constaté chez de nombreuses personnes est le besoin de contrôle. J’ai constaté que ce besoin est accentué chez les personnes sont en responsabilité ou à un poste de manager opérationnel. Ce besoin de contrôle pousse ces personnes à faire régulièrement de l’ingérence. Attention, loin de moi l’idée de faire des généralités…
L’ingérence et le management
La définition de l’ingérence du Larousse est assez claire : l’ingérence est l’action de s’ingérer dans les affaires d’autrui, autrement dit, de fourré son nez partout … Et cela ne concerne pas que les manager, loin de là.
Les nouveaux modes de travail directement impulsés par l’agilité et ses méthodes, par le télétravail et plus récemment les neurosciences, ont changés notre quotidien. Ils apportent de nouvelles approches de l’organisation du travail et de nouveaux comportements, état d’esprit et attitude. Toutes ces évolutions engendrent un changement radical dans le management.
Mais si les équipes se sont approprié ces nouveaux modes de travail assez facilement, de nombreux managers et responsables opérationnels n’ont pas encore pu trouver leur place dans ces nouveaux écosystèmes. Résultat, les managers ont toujours besoin de rendre des comptes à leur hiérarchie, et doivent garder le contrôle et capter un maximum d’information pour “rester dans le coup” … D’autant que le Scrum guide évolue, il introduit la notion d’auto-management de l’équipe. Ce qui, dans ces écosystèmes, creuse le fossé entre le manager et l’équipe.
Les managers sont pris dans une forme de piège, qui rapidement s’avère être très difficile à gérer. Les récentes crises n’aidant pas, nombre de manager sont en souffrances. Une statistique de novembre 2020 montre que les consultations de psychologue sont en forte hausse.
Quelle en est la cause ? Personnellement, je pense que les besoins fondamentaux induis par certains postes dans les entreprises, poussent les personnes ayant ces rôles à faire de l’ingérence pour capter de l’information, mais aussi trouver une place dans l’écosystème de l’entreprise. Seulement cette ingérence est très néfaste pour les collaborateurs, et génère, bien souvent, des situations difficiles et du stress.
Agilité et ingérence silencieuse
Pour que l’agilité fonctionne bien il faut que toute l’entreprise ait évoluée vers la philosophie agile. Or aujourd’hui beaucoup de direction IT sont agile, mais les autres services restent encore dans d’ancien mode de fonctionnement. On se retrouve dans des écosystèmes hybrides, qui sont bien souvent contre-productif. Et les managers évoluent entre ces deux mondes.
Au final, ce sont bien les équipes qui en paient les conséquences. Car c’est bien elles qui doivent encore remplir des tableaux de bord et fichier excel truffés de données totalement inutiles au pilotage de la performance de l’équipe mais qu’ils leur prennent beaucoup de temps à remplir. Nombreux de ces tableaux de bord ou fichier ne servent au management que pour contrôler l’équipe et rester dans le coup.
De mon point de vue, la priorité pour le management doit être de travailler sur la vision et les objectifs de l’entreprise pour les diffuser au plus grand nombre (en interne comme en externe). Cela permet aux équipes de se situer dans l’entreprise et d’être libérées sur leurs décisions du quotidien. Sans vision elles n’ont pas la destination, et sans destination le chemin n’est pas simple à trouver.
D’expérience je sais que ce n’est pas toujours simple de capter la vision et les objectifs stratégiques et de les diffuser à toutes les équipes. Mais le bénéfice à la fin est colossal.
Comment se simplifier la vie
Une des solutions, pour simplifier la vie des équipes et des managers, est de rende accessible et lisible toutes les informations des équipes au plus grand nombre. Ainsi, les managers (et d’autres en interne), peuvent se concentrer sur la résolution des obstacles des équipes sans passer leur temps à chercher l’info (et donc demander des rapports ou des fichiers excel). De plus, en ayant ce temps de résolution d’obstacle avec les équipes, ils peuvent en profiter pour diffuser la vision et les objectifs de l’entreprise et s’assurer qu’ils sont bien compris et adaptés à l’entreprise.
Un vieil adage dit que “l’information est le pouvoir”, mais lorsque ce pouvoir est partagé à tous librement, les relations changent, les forces se lissent pour laisser la place à la collaboration et la coopération. L’ingérant d’hier (par choix ou non), devient mécaniquement le leader facilitateur de demain. Celui qui aide à trouver le bon chemin.
Oui, mais. Ces besoins fondamentaux eux, non pas changé, et les habitudes reviennent vite. La zone de confort de l’ingérant est à portée de mains. L’ingérence silencieuse prend forme à ce moment précis, il faut permettre à ceux, dont les besoins fondamentaux, demande cette ingérence de pouvoir l’assouvir. Ma proposition de solution est de rendre visible à tous, et tout le temps ce qui se passe dans les équipes, et cela passe bien sûr par de l’outillage et un peu de gouvernance et de rigueur.
Libérer les équipes grâce à l’ingérence silencieuse
L’outillage : comme dit l’adage “le meilleur outil est celui que l’on maitrise”. Que ce soit JIRA, redmine, Sharepoint ou un outil maison, celui que vous voulez, peu importe. La seule règle, est que tout soit consultable simplement, et que toutes les informations y soit stockées. Premier effet non négligeable est la réduction massive de mail, qui coûte cher à la planète. Deuxième effet, réduction des “Comités” au sens large, les informations sont librement consultables. Plus besoin de devoir faire de rapport long et inutile.
Gouvernance : pour que cette ingérence fonctionne, il faut que l’information soit un peu structurée. Il faut que l’ensemble des équipes se mettent d’accord sur l’organisation et le format de leurs données. Il faut par ailleurs qu’elles s’assurent que ces données soient bien à jour en quasi-temps réel.
Accompagnement : le management doit être aidé dans la prise en main de l’outil pour arriver à utiliser l’ingérence silencieuse efficacement.
Et c’est alors que celui qui ressent le besoin de “mettre son nez dans les affaires d’autrui” peu le faire silencieusement et quand bon lui semble. Le premier effet de cela est l’accroissement de confiance. Dans de nombreux cas, l’ingérence des managers est nourrie d’un manque de confiance et d’un besoin de contrôle. Ce mode de fonctionnement permet aussi au manager de gagner en sérénité avant des CoPil ou SteerCo, puisqu’ils ont accès à l’information en temps réel. Si une question leur ai posée et qu’ils n’ont pas la réponse, en quelques clics ils ont la possibilité de trouver la réponse ou un début d’explication. Le second effet sera que le manager sera bien mieux en compréhension et en possessions des sujets des équipes, il sera en situation de confiance et sera plus à même de trouver des solutions.
Le concept “d‘ingérence silencieuse”
Au final, le concept “d‘ingérence silencieuse” est très simple. Donner un maximum d’informations structurés à tout le monde, pour que chacun puisse nourrir son besoin d’ingérence et de contrôle. De ce fait, ce besoin étant couvert par ailleurs, les personnes ressentant ce besoin seront apaisées. Progressivement de nouveaux modes de fonctionnement se mettront en place.
Mais attention, pour que l’ingérence silencieuse fonctionne, tout le monde devra jouer le jeu. Les collaborateurs devrons mettre dans l’outil toutes les informations nécessaires et le management devra consulter l’outillage régulièrement.